Le vide est, en Occident, une notion plutôt négativement connotée. Dans la philosophie chinoise et japonaise, qui sous-tend la médecine traditionnelle chinoise, dont est largement issu le shiatsu, le vide n’est pas un élément négatif. Il est au contraire intimement lié à la vie, dont il permet la manifestation. Voici quelques pistes d’exploration pour mieux comprendre son utilité.
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LE VIDE DYNAMIQUE :
On ne peut pas voir le vide. Ni le sentir, l’entendre, ou le toucher. Pourtant il a des effets, quel que soit le champ où il opère.
Le caractère agissant du vide est manifeste dans le plan du mental : tout ce qui est inconnu ou vide est immédiatement rempli par une projection psychologique. Tout se passe comme si les propres arrière-plans psychiques du chercheur étaient réfléchis par l’obscurité.
Là commence la méditation : faire le vide. Exactement : cesser de remplir le vide.
Dans la poésie orientale, où la suppression subtile de certains mots grammaticaux, dits justement mots-vides, et l’institution d’une forme originale de parallélisme comparable à la rime en Occident, les effets du vide créent des hiatus. La réversibilité et la discontinuité qu’ils engendrent dans la progression linéaire du langage crée un rapport ouvert de réciprocité entre le sujet et le monde objectif.
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\ les feuilles tombant \ gisent les unes sur les autres \ la pluie frappe la pluie \
| in A.W. Watts, le Bouddhisme Zen|
La trame prosodique ou musicale est la projection, ou l’expression d’une autre pulsation cadencée, celle de la vie même : « L’expression sonore se déploie dans le temps et par conséquent est soumise au contrôle d’un instrument de mesure, d’un compteur. Cet instrument est le métronome intérieur que nous portons dans notre poitrine, le coup de notre pompe à vie, le cœur qui dit indéfiniment :
Un. Un. Un. Un. Un. Un. Pan (rien) Pan (rien) Pan (rien) »
|Paul Claudel, Positions et Propositions, nrf|
Ainsi le temps ‘entre’ deux coups, le vide, est aussi important, il est une forme de coup en soi. L’ïambe fondamental en est constitué : un temps fort, un temps faible. Pan. Rien.
“J’avais déjà remarqué que dans les travaux des Orientaux le dessin des vides laissés autour des feuilles comptait autant que le dessin même des feuilles. Que, dans deux branches voisines, les feuilles d’une branche étaient plus en rapport avec celles de sa voisine qu’avec les feuilles de la même branche.”
|Matisse, Ecrits et propos sur l’art|
Les traits vibrent, transmettent une énergie. Cette énergie n’est pas contenue dans l’encre (quoique) mais dans la relation entre la trace qu’elle laisse et l’espace de la toile qu’elle ne touche pas. Un trait vivant est un trait qui polarise les lignes de tensions sur la toile.
Lorsque le vide laissé dans le tableau génère une tension (au sens même de la tension d’un courant électrique), le tableau, paradoxalement, est accompli. Il est action en même temps qu’il est conséquence. Shih-Tao, en parlant du Trait unique, dit qu’il est le trait d’union entre l’esprit de l’homme et l’univers.
Les calligraphes chinois et occidentaux ont deux manières révélatrices de tracer un cercle. Les Occidentaux appuient leur poignet (ou le coude) sur le support pour trouver une stabilité et avec les doigts et la main, font décrire un cercle à leur plume, parfois en plusieurs traits qui se reprennent les uns les autres. Les Chinois n’ont au contraire quasiment pas d’action de la main. Ils se tiennent droits, généralement assis, et presque sans bouger la main ni le bras, effectuent un cercle avec tout le tronc posé sur les deux ischions. Avec l’expérience, ces mouvements de tout le corps deviennent moins perceptibles, mais ce sont toujours eux qui génèrent le trait.
La volonté consciente, commandant au système nerveux volontaire, a moins de prise sur une telle manière de tracer. Les zones moteurs du cerveau correspondant aux mains sont extrêmement développées, mais dessiner une forme précise au millimètre à l’aide du bassin est quasiment impossible si on cherche le contrôle. Inévitablement, ce mouvement nous échappe. Il laisse une part au vide. Un espace où l’imprévu, le sans-limite peuvent s’introduire.
|Claude Mediavilla, 1987, encre de Chine sur soie|
Enfin, dans la musique orientale, mais également chez beaucoup de compositeurs contemporains occidentaux, on retrouve cette opération ‘magique’ du vide. On pense à des œuvres comme « 4’33’’ de silence pour piano et clarinette » de John Cage, dont l’exécution publique rend audibles quantité de sons que notre cerveau filtre usuellement, mais aussi au rapport même à la musique développé par ces nouveaux compositeurs.
« La musique n’allait nulle part, donc elle pouvait parfaitement s’arrêter puisque s’arrêter en faisait autant partie que produire un son ; ne pas produire de son était la même chose qu’en produire un. »
|Richard Kostelanetz, Entretiens avec John Cage|
Ainsi, d’une musique qui manipulait les sons et s’est peu à peu formalisée et dissociée de son contenu physique vibratoire au profit de ses manipulations théoriques, certains compositeurs ont (re)découvert l’intérêt de laisser le matériel sonore naître et déployer lui-même la musique, par ses harmoniques et son rapport au silence qui l’entoure.
D’une musique qui créait l’écoute, nous sommes passés à une écoute qui crée la musique.
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